De la navigation
JOUR 5 : samedi 12 septembre
Réveil sous le crépitement de la pluie qui tambourine sur le toit de la caravane. J'ai dormi chez ma soeur Géraldine qui s'apprête à marcher une étape avec moi. Le petit-déjeuner en famille est très animé. Je pose sur la table la besace où sont écrits les mots LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE. Violette reconnaît dans la silhouette de Marianne la "dame de la Révolution." J'invite chacun à s'exprimer sur un des mots qui résonne pour lui. Maya ( 6 ans) : "Ca me rappelle quand Maman chantait Egalité, FRANCERNITE pour les Kosovos parce qu'ils arrivaient pas à avoir leur ticket pour avoir un travail. On les a aidés et ils ont réussi." Maya a tout compris. Elle a compris que les valeurs républicaines sont les piliers du foyer où elle grandit. Preuve en est l'engagement de ses parents dans la Cité, que ce soit en tant que conseiller municipal, délégués de parents, membres d'associations ou voisins généreux et disponibles. Géraldine fait partie de RESF ( Réseau d'Education Sans Frontière) et témoigne du sens de la fraternité qui anime les membres de l'association : " Les militants donnent de leur temps sans compter pour venir en aide aux migrants qui se réfugient en France. Sans les connaître, tout simplement parce que le choix qu'ils ont fait de quitter leurs patrie, leurs proches, prouve à lui seul qu'il leur était impossible de rester.C'est la chance qui fait qu'on n'a pas besoin de fuir, pas un quelconque mérite. Chacun a le droit de s'installer là où il se sent bien et en sécurité."
Le mot LIBERTE résonne particulièrement aux oreilles de Tom et Robin. Adolescents conscients de la chance qu'ils ont d'avoir des parents aussi ouverts, ils n'en éprouvent pas moins le désir d'être plus libres, que ce soit pour passer plus de temps sur l'ordinateur ou aller courir sous la pluie ! L'adolescence est un temps privilégié où l'on questionne justement les cadres éducatifs et par conséquent les valeurs qui les sous-tendent. Si inconfortable qu'elle soit pour tout le monde, cette phase est absolument nécessaire et permet de soulever des questions de fond.
Jean-Luc réagit aussi au mot LIBERTE et se souvient : " Nous avons accueilli à la maison deux enfants biélorusses qui subissent la radioactivité de Tchernobyl, parce que certaines personnes choisissent une énergie au nom de la liberté d'entreprendre, sans tenir compte des habitants des autres pays, comme si les frontières étaient des barrières infranchissables.La liberté des uns s'arrête (ou est limitée) là où commence celle des autres."
Nous prenons enfin la route pour rejoindre le lieu où j'ai arrêté ma marche la veille. Je me rends compte que mon bâton de marche est dans l'autre voiture, alors que Jean-Luc est parti pour quelques heures et qu'il fait partie des derniers Mohicans qui n'ont pas de portable. S'ensuit alors une série de coups de fil pour organiser la récupération de mon bâton à Laval où je passerai dans quelques jours. Je choisis de demander à la librairie jeunesse M'LIRE de bien vouloir garder en pension le bâton que déposera bientôt mon beau-frère qui sera averti par l'orthodontiste de son fils de la mission à accomplir. Je parlerai une autre fois de ma troisième jambe, quand je l'aurai récupérée.
12h30, nous nous mettons enfin en marche ! Le temps n'est plus à la pluie, nous partons guillerettes et enchantées de nous retrouver ensemble sur un chemin de grande randonnée (GR). Nous navigons à l'aide d'une photocopie de carte au 1/100 000 ( 1cm= 1km) qui n'est pas très précise mais sur laquelle j'ai reporté le tracé du GR 34. J'ai également téléchargé dans mon smartphone l'application IPHIGENIE qui pour une somme très modique permet d'obtenir des cartes à différentes échelles et de s'y repérer grâce à la géolocalisation par GPS. Cerise sur le gâteau, les tracés des GR y figurent aussi ! Ce double outil s'avère bientôt utile, car nous nous apercevons qu'en suivant les balises ( un trait rouge et un trait blanc parallèles tracés sur les troncs d'arbre, les murs, les poteaux,..) notre itinéraire ne coïncide pas avec celui tracé sur ma carte. Nous comprenons que celui-ci a changé, que pour une raison qui nous échappe encore le nouveau GR passe beaucoup plus à l'est que l'ancien.
Vu l'heure tardive, nous optons pour l'ancien qui nous éloigne moins de l'endroit où Géraldine récupérera sa voiture. Cette option est beaucoup moins confortable, car elle nous oblige à mobiliser nos compétences de navigatrices, qui ne sont pas les plus évidentes de nos qualités. Nous devons donc compenser en demandant confirmation aux quelques autochtones rencontrés sur la route. La navigation est encore compliquée par quelques doublons toponymiques de mauvais aloi (voir la carte).
Nous arrivons devant une maison où est planté l'écriteau : PROPRIETE PRIVEE, défense d'entrer. Nous comprenons alors que l'itinéraire du chemin a changé à cause de cela, du transfert de propriété communale à la propriété privée, ce qui nous est confirmé plus tard par un paysan. L'heure tourne et il faut avancer, trop tard pour faire demi-tour. Nous hélons le PROPRIETAIRE pour l'implorer d'un exceptionnel droit de passage. Il a la bonne idée d'être absent. Nous décidons de nous passer de son droit de passage, avec une excitation aventureuse mêlée de la crainte d'être découvertes. Une croix est plantée dans son jardin. Est-ce pour ne pas risquer de troubler le repos du gisant qu'il barre le chemin ? Nous nous engageons dans des champs de maïs, chuchotons en plein champ pour ne pas nous faire repérer, roulons sous les barbelés pour retrouver enfin le chemin autorisé. Ah les précautions de contrebandiers quand il ferait si bon de pouvoir circuler librement dans la nature !
Cette excellente journée s'achève à Dompierre du Chemin où Dominique vient me chercher pour m'emmener passer la nuit chez elle.
Je suis enchantée de cette première