Le jour du saigneur
JOUR 34: dimanche 11 octobre
Encore un dimanche. C'est le jour que j'aime le moins dans la semaine. Le jour où la vie se retire des rues, carapaçonnée dans l'intimité des foyers. Pour qui n'est pas titulaire d'une famille, dimanche peut aisément rimer avec moral qui flanche et tire ton mouchoir de ta manche.
C'est aussi le jour de la chasse, enfin, un des jours possibles de la semaine pour cette activité que de nombreuses personnes ne peuvent exercer que lors du repos dominical. Je n'aime pas la chasse et je confesse certains a priori sur les chasseurs. Je pense qu'il est effrayant d'être poursuivi par un autre être vivant, qui de surcroît veut vous priver à tout jamais du bonheur de respirer.
Je n'aime pas me promener dans les bois au son du canon.
J'ai peur des armes à feu et de leurs bouches terribles. J'ai peur des balles perdues, balles perdues, balles perdues...(*)
J'aime les biches, les faons, les faisans, les écureuils bondissants, les gros lièvres bruissants.
Dimanche dernier, alors que je marchais en lisière d'un bois sur un chemin bordé de châtaigners, j'ai été témoin d'une scène incroyable : après un coup de feu tout proche, une biche a surgi des fourrés, puis bondi sur la route quelques mètres à peine derrière un groupe de gens qui, le cul en l'air, tout affairés à ramasser des châtaignes, n'ont absolument rien perçu de l 'événement. La biche a traversé ensuite un grand champ à découvert pendant une longue minute où j'ai retenu mon souffle, craignant qu'elle ne suspende le sien pour toujours.
Combien de grâces de biche avons-nous laissé filer, le nez dans nos godasses ? Aujourd'hui, il s'en est fallu d'un poil que je ne manque l'écureuil roux qui a zébré mon chemin. J'étais tout absorbée par la navigation sur mon portable, à défaut de trouver de visu des traces de balisage de GR.
La magie de la vie tient dans ces secondes d'attention que l'on arrache à la folle course du temps.
Cet après-midi, quelques coups de feu ont perforé le silence enchanté du paysage automnal. Un peu plus tard, j'ai fait la connaissance de Jean-Christophe, agriculteur de métier et chasseur du dimanche. J'ai immédiatement senti fondre les a priori, tant l'homme qui me parlait n'avait rien d'un tueur assoiffé de sang. Je lui ai posé quelques questions sur son passe-temps et ai été surprise d'apprendre qu'il ne chasse que rarement avec un fusil, mais plutôt seulement avec son chien. Il a fait lui-même le distingo entre les chasseurs qui aident à réguler les populations animales et les plantations forestières, et ceux qui chassent pour satisfaire un désir de tuer qui vient du fond des âges.
Je suis heureuse d'être femme, car de tout temps, de toute éternité, les femmes dans leur immense majorité ont à coeur de préserver la Vie.
NB: Ames sensibles attention, j'ai glissé en fin de message quelques photos d'animaux morts, en hommage à leur vie fauchée trop tôt.
(*) http://www.ina.fr/video/I05138866