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Le sillon, une marche en fraternité
9 novembre 2015

Ribambeaux

JOUR 63: La Bastide des Jourdans/ Jouques, lundi 9 novembre

Après avoir quitté Georges et Damien, je me suis perdue dans le massif du Luberon. Tout à la joie de la rencontre, je n'avais pas chargé mes cartes dans mon smartphone avec mon application Iphigénie. C'est à la nuit tombée que je suis arrivée à la Bastide des Jourdans et qui plus est, un dimanche soir. Au bout d'une heure de tergiversations avec moi--même, j'ai fini par trouver le courage de frapper à la porte d'une maison qui me semblait accueillante, notamment grâce à son panneau "Office national des forêts".
Ce n'est que la deuxième fois que je toque à une porte fermée, la première étant le jour de mon départ le 8 novembre. Cette façon de faire est trop frontale à mon goût et rappelle trop le porte à porte. Je veux pouvoir laisser à mon hôte potentiel le temps de la réflexion et la possibilité de dire oui ou non en ayant bien pesé sa décision. D'où mon approche plus douce quand je vais dans les petits commerces de proximité.

Ce soir cependant, j'ai eu la main heureuse. Jean-Michel et Bénédicte m'accueillent avec beaucoup de gentillesse, de chaleur et de simplicité. Tous deux sont très réceptifs à ma démarche et je me sens immédiatement en lien fraternel avec eux. Voyant que je suis fatiguée, ils me laissent aller me coucher assez rapidement dans leur salon. Nous faisons plus ample connaissance le lendemain matin. Jean-Michel est garde-forestier, il s'occupe d'un territoire très étendu comprenant plusieurs forêts, incluant celle dont je me suis extraite si difficilement quelques heures plus tôt.Je suis fascinée par ce métier étonnant d'homme des bois professionnel ! Jean-Michel est un amoureux de la nature depuis son plus jeune âge, goût transmis par son père militaire qui emmenait toute sa petite famille camper dans les bois le week end. C'est là qu'il a appris à se débrouiller dans la nature, à faire des feux, des cabanes, à se relier au vivant, à l'univers. Jean-Michel n'en finit pas de me surprendre par son humour, ses choix de vie et sa façon d'être au monde. Il a notamment choisi d'embrasser la foi orthodoxe. Un des aspects qui l'a séduit dans cette religion, ce sont les clefs de compréhension de l'âme humaine. Il y trouve une nourriture spirituelle réellement aidante et bienveillante. " Acquiers d'abord la paix intérieure et beaucoup trouveront le repos autour de toi. " ( Saint Séraphin). En tout cas, moi je trouve le repos et un réel apaisement auprès de ces deux-là !
Bénédicte n'est pas en reste. Elle est psychologue et travaille dans le milieu psychiatrique après avoir oeuvré longtemps en prison. Elle me donne un éclairage intéressant sur son expérience en milieu carcéral en évoquant le côté "contenant" de la prison, que ce soit pour les détenus ou pour ceux qui s'occupent d'eux. Le cadre permet de protéger chacun à sa façon, qui de ses pulsions, qui de ses difficultés , qui de la violence. Ce qui ne veut bien entendu pas dire que celle-ci ne s'exprime pas, mais la structure est quand même cadrante. Nous parlons de l'importance de regarder l'autre avec respect, que les malades, les détenus, tout un chacun a besoin d'être écouté avec attention, compassion et bienveillance.

Leur couple est décidément extrêmement attachant. Ils ont fait récemment un choix difficile, celui de vivre géographiquement séparés pour pouvoir donner à l'autre la liberté de vivre là où cela lui semble juste. Bénédicte souhaite vivre auprès de ses enfants à Epinal. Jean-Michel rêvait des forêts de Guyane... Pour rester ensemble, ils ont fait ce compromis et n'ont que quelques centaines de km à parcourir pour se rejoindre. Une paille quand on s'aime et se respecte profondément. Combien de couples qui dorment dans le même lit sont en vérité à des milliers de km l'un de l'autre ?
Je m'arrache littéralement de la chaleur de leur foyer. Toujours repartir...

Trois minutes plus tard je fais une autre belle rencontre dans la petite épicerie où j'achète quelques provisions. Je demande à la caissière d'où vient son charmant petit accent et ne suis pas surprise d'apprendre qu'elle est polonaise. Iwonna est arrivée en France en juillet 1993. Au même moment, je partais en stop avec mon amie Laurence pour faire le tour de la Pologne en stop. "Jedzemy do Polski autostopem !" Incroyable croisement, d''autant plus que son destin est lié à une histoire d'autostop. Il y a vingt ans, celui qui n'était pas encore son mari avait pris en stop trois jeunes Polonais venus découvrir la France. Le lendemain, apprenant qu'ils étaient au camping de son village et connaissant les très modestes moyens des étudiants de l'ex-bloc soviétique, il les avait invités quelques jours chez lui. Quelques temps plus tard, ses hôtes lui rendaient la pareille en Pologne où il rencontrait celle qui allait devenir sa femme, Iwonna. Un battement de cil, un souffle de vent, une aile de papillon, à chaque instant s'opèrent des micro-choix qui peuvent faire basculer une vie dans un sens ou dans l'autre. Effrayant ou enthousiasmant, en tout cas fascinant d'en prendre conscience ! Dans ce cas-là, c'est la confiance en l'autre qui a été déterminante. D'un côté accepter d'accueillir chez soi trois jeunes étrangers désargentés, et de l'autre accepter la générosité désintéressée d'un inconnu. Je prends congé d'Iwonna en lui disant quelques mots dans sa langue, minuscule hommage ô combien bienfaisant dans ce contexte sociétal si particulier.

Cette journée du 9 novembre est vraiment très spéciale. Je rencontre des gens comme je respire. A Mirabeau, vers 16h30, je discute avec un petit garçon d'une douzaine d'années qui me regarde me contorsionner en photographiant la plaque PLACE DE LA LIBERTE avec une balle en mousse rouge que je viens de trouver par terre. Robinson s'intéresse à mon parcours, visiblement touché par ma démarche.
"Tu comprends pourquoi je prends ces photos ? Tu veux que je t'explique ?"
"Non non, j'ai bien compris."
Les enfants sont étonnants. Ils sont pour beaucoup bien plus sages que de nombreux adultes. Quel mauvais sort est jeté à l'enfant si ouvert, si réceptif, si sensible et si intelligent ( en latin: doté de la faculté de comprendre) pour qu'il devienne parfois un adulte borné, renfermé sur lui-même, médiocre et prêt à gober ce que les médias lui enfournent dans la bouche jusqu'à l'écoeurement? Je ne développerai pas plus le sujet ici, mais en tant que rouage de la grande machine EDUCATION NATIONALE, ma gorge se serre et j'entends résonner en moi les paroles de Pink Floyd. "We don't need no education. Hey, teachers, leave us kids alone ! " ( "Nous n'avons pas besoin d'être éduqués. Hé les profs, laissez-nous seuls-tranquilles-, nous les enfants !")

Quelques heures plus tard, je me retrouve à nouveau à marcher dans la nuit, mais cette fois-ci, je sais où je dors. Je suis attendue à Jouques chez Aline et Jacques, prévenus par Georges ce midi seulement. J'ai suivi un stage de chant grec l'an passé avec Aline mais je ne me souviens pas de son visage. Elle non plus, mais c'est avec gaîté et une grande simplicité qu'elle accepte au téléphone de m'accueillir.
Je marche dans la nuit. Cette fois je n'ai pas peur, je suis sur un plateau, une route goudronnée et je sais où je vais. Il est tard, je pense que je n'irai pas jusqu'à Jouques, qui est encore un peu loin, mais peut-être qu'une âme charitable s'arrêtera et me fera faire les quelques km qui me manquent. Peu de temps après avoir formulé cette pensée, une voiture s'arrête et me propose de m'emmener, alors que pourtant je marche du côté gauche et ne fais pas de stop...
Annette est prof de Qi Gong et s'apprête à donner un cours auquel elle me convie. J'accepte avec joie, préviens mes hôtes de mon arrivée tardive et me réjouis de cette extraordinaire ribambelle de belles personnes rencontrées aujourd'hui. Je suis le cours d' Annette avec grand intérêt et sens mon corps très réceptif à l'énergie réveillée par cette discipline millénaire venue de Chine. Merci à elle pour cette belle initiation !
Jacques vient me chercher à la sortie du cours, et c'est avec délectation que j'achève avec Aline et lui une journée haute en couleurs! 

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Il n’est jamais trop tard pour te suivre et vivre un peu à distance ce que tu as vécu ces derniers jours sur le Chemin de la Fraternité.
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